Le paradoxe de la personnalisation : menace sur notre évolution!

paradoxe personnalisation - Big Data

Je mijote cet article depuis un bon moment. D’ailleurs, depuis un moment, je cherche le bon titre. J’aurais pu intituler cet article : Facebook menace votre sens critique ou Les médias sociaux génèrent la ségrégation. Peu importe, à la fin vous comprendrez que le cri d’alarme que je lance est sans doute une goutte d’eau dans l’océan de notre jugement collectif.

Une réflexion sur le rôle des robots de recherches et les algorithmes

J’écoutais l’an dernier une conférence de TED talks, et honte à moi, je ne la retrouve plus (ou je devrais plutôt dire honte à TED qui ne sait pas comment rendre les recherches dans son site plus intuitives). Enfin, ladite conférence dont le titre m’échappe présentait une réalité que je soupçonnais, mais dont la démonstration m’a laissée gravement atteinte de cynisme face à Facebook notamment. Notez ici que les médias sociaux dans leur ensemble semblent pécher dans le même sens. Alors, cette explication faisait la démonstration éloquente que l’algorithme de Facebook fait en sorte de nous montrer sur notre mur des publications gérées par ses robots programmés avec des critères concoctés par les savants « néosociologues » de Facebook.

Ainsi, selon leur vision de la personnalisation, s’ils observent que vous aimez les publications de Jean, vous ignorez celles de Pierre, et vous commentez celles de Manon, et que vous partagez celles de Suzie, elle-même amie avec Josée, elle-même amie avec Nathalie qui ignore les publications de Jean, qui aime les publications de Pierre. Ils concluent que vous n’aimez pas Pierrette!!! Pierrette disparaît alors de votre mur de publication pour cause de lobotomie numérique. Voyez-vous, la soupe à l’alphabet numérique mesure tout, et sans vous faire une grande révélation : nous sommes dorénavant une méga base de données vivante qui se met à jour en temps réel en fonction du contrôle d’un robot. Et alors?

Le sens critique dilué dans l’homogénéité

Le problème est simple. Sous prétexte de personnaliser mon expérience et s’assurer de mon intérêt soutenu dans mon compte, j’ai des dizaines d’amis sur Facebook dont j’ai oublié l’existence parce que Facebook a décidé que je n’avais pas assez d’affinités avec eux, ou vice-versa (en fait, en faisant un tour rapide, je vois à peine 10 – 15 % d’entre eux). Cela n’a aucun intérêt pour Facebook si je ne fais que passer par-dessus des publications sans interagir. Pire, cela pollue mon mur, et il n’y aura pas assez de place pour tout mettre considérant la quantité de publicités qui doit nourrir la bête. Avec ce raisonnement, nous finissons par toujours voir les mêmes amis avec leurs activités, car c’est un cercle vicieux. Plus on interagit avec leurs publications, et plus, Facebook nous en redonne. Et comme ce sont les seuls que nous voyons, nous cessons d’interagir avec les autres. Cela va même plus loin. Si vous êtes libéral, vous aimerez les publications des libéraux. Facebook saura donc que vous êtes libéral, ou pro libéral. Il aura aussi remarqué qu’un de vos amis est libéral, vous aurez tôt fait de voir apparaître ses publications. En d’autres mots, le but de Facebook est de faire que les moutons qui pensent pareil se retrouvent dans le même abreuvoir. À la fin de cette ségrégation gérée par les robots que j’aime nommer le « syndrome du mouton », vous réalisez que vous avez juste des amis avec qui vous êtes d’accord qui se bombardent à coup de « j’aime », et qui se font des petits mots doux en renforçant leurs convictions. Jamais ils n’auront à confronter les avis contraires provenant des méchants séparatistes, car avec le temps, ils disparaîtront de leur mur, et peut-être de leur vie. Comment faire évoluer notre pensée si nous fermons la porte aux opinions contraires, différentes et provocantes? Une belle recette pour nous faire perdre le sens critique et nourrir notre propension naturelle à se plaindre en groupe, ou s’autogratifier. Ce n’est pas comme ça que nous pouvons évoluer. Cette conférence était simplement géniale de lucidité. (Promis, si je retrouve le lien, je l’ajoute ici : Merci à une lectrice qui l’a retrouvé sur Youtube!)

La personnalisation : un défi qui prend un nouveau sens!

Avec cette démonstration éloquente des dangers de toujours s’exposer à des opinions similaires sous prétexte de personnaliser notre expérience sociale, nous pouvons comprendre que la personnalisation n’est pas toujours souhaitable si elle ne sert que l’intérêt de celui qui contrôle les règles du jeu. Nous pouvons toutefois mieux comprendre quel besoin nourrit la nouvelle tendance axée sur une vraie personnalisation, et ce besoin viscéral de se sentir unique et différent, mais surtout en contrôle. Inévitablement, les entreprises sont appelées dès maintenant, et dans le futur, à aider leurs clients à trouver leur « trueself », leur « vrai moi », afin de démontrer la réelle valeur de leurs efforts de personnalisation. Apporter ce petit plus qui fait la différence. En d’autres mots, la tendance présentée par Trendwatching sous le vocable « Youniverse », révèle que le marketing moderne aidé par la technologie permettra d’anticiper les besoins, que vous et moi, avons peine à identifier ou à détecter. Grâce aux miracles du Big Data, des informations combinées serviront à vous dire si vous préférez la Kia bleue, ou rouge, juste par le temps que vous avez passé à les regarder. Attention alors à ce que vous dites, vous aimez, vous regardez, vous commentez, etc. Tout l’arsenal de votre conquête personnelle est déployé pour votre propre bien. Les entreprises vous aideront à vous comprendre vous-même. Avec les détecteurs faciaux, elles sauront si vous êtes heureux ou malheureux, et vous aideront à choisir. Ça va même plus loin, selon votre activité, ou inactivité sur votre mobile, il est déjà possible de savoir si vous vous ennuyez. Une compagnie de téléphone allemande envoie dorénavant des contenus sur les mobiles de leurs clients à des moments ciblés comme « ennuyants », et le taux de lecture augmente en flèche. L’avenir de la vraie personnalisation est l’anticipation de vos propres besoins, avant que nous-mêmes en soyons conscients.

Enfin, pour clore ce billet, je voulais vous donner espoir, et vous faire sourire. Une femme du nom d’Amy Webb a pris le temps de décortiquer l’algorithme d’un site de rencontre et a poussé le concept de la personnalisation à son extrême limite pour trouver son « trueother ». Découragée par son célibat qui s’éternisait, elle a décidé de trouver la perle rare en utilisant ses talents de mathématicienne. Comme quoi, lorsque nous savons faire un bon usage des données, et que nous sommes pragmatiques, l’amour peut même en surgir. (En anglais. Une conférence TED très amusante)

Je vous encourage à faire l’effort de visiter des profils différents de ceux habituels dans vos médias sociaux. Vous verrez ce qui se passe après que vous réveillez des relations lobotomisées par les robots. Tout à coup, elles sembleront omniprésentes, et vous réaliserez que vos amis absents étaient pourtant actifs sur Facebook! Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec eux, mais surtout vous avez le devoir d’exprimer vos opinions pour le plus grand bien de l’humanité et combattre le syndrome du mouton. Le Web c’est nous, et c’est à nous de le faire évoluer comme nous le souhaitons!

Bêên! C’est quoi le problème?

Sylvie Bédard - Mind DropPS Vous avez envie de vous former à cet univers dans un but commercial? Visitez la liste des cours disponibles dès février 2016, ou avant, en mode de groupe ou en coaching. La majorité des cours seront en ligne, et plusieurs en salle.