S’il y a une chose que la pandémie a révélée depuis bientôt un an, ce sont bien les failles de notre société. Tel un méga projecteur de mille watts braqué en plein sur nos talons d’Achille collectifs : le système de santé, le traitement des personnes âgées, la dépendance sur l’approvisionnement extérieur, le système scolaire, le retard des entreprises sur leur présence efficace en ligne, la fragilité mentale de certaines tranches de la société et bien sûr, la mainmise du GAFAM* sur nos vies à l’ère du contrôle Internet.
Et que dire de l’aspect personnel qui a mis en évidence la solitude, notre condition économique, notre espace de vie, notre réalité et nos remises en question et j’arrête ici. Comme on dit, il n’est pas étonnant que la pandémie soit aussi appelée « The great reset ».
Pas un seul pan de notre société n’est épargné. Soit les uns travaillent comme des forcenés, soit d’autres achèvent le catalogue NetFlix, Crave et Tou.tv, entre les deux, peu de nuances.
Mais voilà que la bête « Internet » nettement avantagée depuis le début de cette pandémie, le GAFAM*, établit des profits records jour après jour. Pour les complotistes, voilà bien la preuve axée sur la logique « à qui profite le crime » que cette pandémie est alimentée par des intérêts mercantiles.
Nous sommes tous devenus connectés du jour au lendemain au respirateur économique virtuel. Une soupape qui a permis de garder la tête hors de l’eau pour les consommateurs, les commerces, les entreprises avec les travailleurs et clients à domicile et pour préserver les contacts avec les nôtres qui sont devenus des images 2D derrière les écrans.
Mais s’il y a une chose que la bête du GAFAM a franchie, c’est bien la limite de l’autorégulation. Leur pouvoir extrême de changer le cours d’une élection ou de remettre en cause la démocratie au nom de la liberté d’expression a été la goutte qui a fait déborder le vase. Le Trumpisme n’aurait jamais émergé sans les médias sociaux. Trump qui a gouverné (du moins selon lui) pendant quatre ans dans le confort de son divan ou son « cart » de golf avec Twitter. Personne ne peut le nier.
Or qui peut réglementer les limites de la liberté d’expression et se targuer de savoir « mieux » que les autres sans mettre en péril les principes fondamentaux de la liberté d’expression?
Une commission canadienne pour déterminer le fragile équilibre de la liberté d’expression
Le pionnier de la lutte aux changements climatiques au Canada, notre Steven Guilbault est dorénavant l’honorable ministre responsable du patrimoine canadien responsable de légiférer contre les attaques que subit notre culture avec le GAFAM. À l’instar de l’environnement, les enjeux de la culture et des communications ne sont pas évidents à contrôler si nous règlementons seulement notre carré de sable.
Mais, il faut tout de même avouer que le laxisme dure depuis trop longtemps en matière de législation pour encadrer le GAFAM. Ne rien faire nous a menés directement dans le rôle d’ombre des États-Unis et des marionnettes du GAFAM. Les dégâts collatéraux créés sur notre économie et notre culture sont adressés avec son projet de loi C-10 qui souhaite soumettre le GAFAM aux règlements du CRTC. Mais, l’aspect de la législation autour du contrôle de la liberté d’expression fait couler beaucoup d’encre. Le ministre lui-même a goûté à son arrière-goût amer.
Face à la complexité d’un tel enjeu qui ne fait plus aucun doute à l’ère des complots, des fausses informations, des algorithmes de l’ignorance, des discours haineux entretenus par des présidents narcissiques voire mégalomanes et leurs fidèles, tirer une ligne entre ce qui peut être dit ou pas, devient une véritable épée de Damoclès. La mise en place de la Commission canadienne de l’expression démocratique (CCED) a la délicate tâche de proposer les bases d’un projet de loi en ce sens afin de mieux encadrer les responsabilités des plateformes numériques en regard de la liberté d’expression.
Personnellement, je commencerais pas exiger que les faux comptes soient bannis et que si tu veux t’exprimer que tu le fasses sous le couvert de ton nom et non de façon anonyme. La débandade dans les médias sociaux est presque toujours avec des comptes qui ont des faux noms et des photos de chiens ou autres profils non identifiables.
Selon moi, ce sont ces profils qu’il faut éliminer ou du moins ne laisser aucune place pour les fautes « sociales ». Les fouteurs de trouble ou les trolls sont souvent lâches cachés derrière leurs écrans. Oui, certains ne veulent pas être identifier par leurs étudiants, ou par leurs responsabilités préfèrent garder l’anonymat. À ceux-ci je dis: apprenez les paramètres de sécurité et personne ne vous trouvera si vous ne le voulez pas.
Sans trop s’en rendre compte, les citoyens du pays sont sur le point de vivre un moment historique qui pourrait changer le futur des générations à venir et actuelles. Le tout aux mains d’un comité composé de personnes comme vous et moi.
Avec les professeurs, hommes politiques et journalistes qui ne peuvent plus utiliser le mot commençant par « N », ou « S » ou les pierres qu’on lance à tous ceux qui sont « différents » à coup de publications haineuses, il faut bien admettre qu’entre la rectitude sociale et l’insulte, il y a un monde. Nous dépassons un sujet déjà abordé: le détournement de langue et les abus du langage.
Le plus étrange dans tout ça, c’est qu’au moment d’écrire ce billet, les algorithmes qui nous dictent notre contenu « social », aux limites de l’inculture, sont programmés par des humains imbibés de biais de la moelle aux os. Des algorithmes à qui nous reprochons des choix douteux alors que ces programmations sont 100% sous le contrôle des humains.
Le GAFAM atteint la limite de l’autoréglementation et de leur crédibilité
Mais, il faut croire que le GAFAM est bien conscient des limites des algorithmes puisque des milliers de personnes dans les pays asiatiques sont engagées pour « nettoyer le Web ». C’est complètement hallucinant de savoir qu’un seul nettoyeur du Web philippin peut visionner jusqu’à 25 000 images par jour et en effacer tout autant.
Ces humains entraînés à faire le tri de ce qui est « acceptable » versus ce qui ne l’est pas, décident en quelques secondes du sort des contenus sur le Web. J’imagine que pendant ce temps, des données sont accumulées pour enseigner éventuellement à des algorithmes à faire leur travail de modération en acceptant une marge d’erreur éventuelle.
Visionnez ce documentaire « Les nettoyeurs du Web (sur Arte, le 26/08/2018) ». C’est complètement hallucinant de constater tout ce qu’impliquent les médias sociaux à l’ère antisociale. Je vous jure que les limites sont non seulement essentielles, mais vitales. Je ne voudrais pas faire ce travail, de quoi ne pas dormir la nuit venue.
Ce qui me turlupine, c’est le pouvoir que ces modérateurs ont sur nos fils d’actualités. Si nous nous offusquons d’une potentielle entorse aux libertés d’expression, je peux vous affirmer que nous y sommes soumis depuis fort longtemps. Ces Philippins très croyants sont bien dociles et animés par une foi qui rassure. Mais leur pudeur vient aussi ajouter aux filtres qui peuvent abîmer la culture.
Ce sont franchement de méga questions qui sont là depuis plus de 15 ans, mais auxquelles le citoyen moyen s’intéresse depuis trop peu. Au rythme où vont les choses, nous allons vivre dans une société aseptisée par des étrangers sous-traités par le GAFAM. Au diable la culture et l’évolution personnelle… restons dans notre bulle.
Mais que veut dire « Liberté d’expression »?
Pour répondre à cette question, quoi de mieux que de voir ce qui se passe dans les pays sous la gouverne des dictateurs. Être emprisonné pour des idées contraires au dictateur ou aux lois de l’Islam, même être battu et flagellé pourraient bien être l’extrême exemple de ne pas avoir de liberté d’expression. Que dire de la liberté d’être homosexuel, ou une femme libre autonome? La liberté d’expression bâillonnée est donc tout près de la liberté de ne pas « être ».
Lorsque nous tentons de cerner nos droits et libertés, nous nous heurtons forcément aux codes moraux, religieux, culturels et étatiques qui n’ont pas la même perspective selon où nous sommes nés. Naître à l’ouest, c’est naître avec des droits et libertés et naître à l’est, c’est naître avec des devoirs et des responsabilités. Ces philosophies occidentales et orientales nous rappellent que tout est une question de point de vue. La perspective selon laquelle nous regardons les choses.
Pourtant, il faut bien tirer une ligne quelque part.
J’aime bien décortiquer les mots. Ici, ex et pression, nous rappellent que l’expression est un peu comme expulser la pression intérieure. Tel un presto, parfois ce besoin de s’exprimer est trop fort pour être muselé.
Je ressens cette pression régulièrement. Ce blogue est la preuve ultime que ma liberté d’expression est vitale à mon équilibre mental. Ce besoin de dire est toutefois assorti d’un guide moral et aux balises que je m’impose pour élever le discours, provoquer la réflexion et parfois la discussion. L’idée de grandir, partager son savoir, partager ses prédictions, ses analyses, ses constats, son indignation, proposer des solutions, des idées. Oui tout ceci est l’idée derrière la liberté d’expression. Tout le monde n’a pas être d’accord avec nous, mais tant et aussi longtemps que le respect est là, que les intentions sont saines et que l’échange et le dialogue sont possibles dans la paix et les comportements « sociaux », je dis que la liberté d’expression fait son œuvre.
Alors, comment mesurer l’intention derrière une publication et juger qu’elle soit bonne ou mauvaise? Si je dis, manger du porc est excellent pour la santé, les musulmans diront que c’est interdit par la loi de Dieu, les naturos diront que c’est l’animal le plus toxique, les végétariens diront que manger de la viande est polluant, les protecteurs d’animaux diront que c’est inhumain de manger une si belle bête et ainsi de suite. Jusqu’ici, nous pourrions qualifier ces divergences de débat sain et civilisé.
Mais si nous ajoutons la notion de « vérité », il est fort à parier que nous allons tout droit vers une escalade argumentaire qui pourrait dégénérer en insultes de toutes sortes. Chacun campera sur sa position et qui plus est, les algorithmes de l’ignorance nourriront mon point de vue et élimineront les idées opposées. Que dire de la publicité qui viendra sans doute dans mon fil dans les heures ou jours suivants. Une campagne des producteurs du porc du Québec! Oui, c’est là où nous en sommes.
Si 70 000 000 d’Américains ont réussi à croire que les élections étaient truquées, tout est possible selon celui qui tient les mensonges pour la vérité et qui a suffisamment de pouvoir pour nourrir les mensonges. Même le mot mensonge a été revu et corrigé pour « faits alternatifs », c’est dire.
C’est dire que sans base commune sur lesquelles s’entendre, la liberté d’expression ne sera jamais autre chose qu’une illusion, au mieux, et une arme, au pire. Regardons la situation en Russie avec le seul opposant à Poutine, Alexei Navelny… parlez-lui de liberté d’expression. Si ses pensées pouvaient être lues, il n’aurait même pas droit à la liberté de penser autrement.
Ce débat est loin d’être terminé. Si des médias ont interrompu la diffusion de Trump (sauf exception) lors de son discours sur les élections volées, c’est dire qu’il y a des limites que certains ressentent dans leurs tripes au-delà des lois. Plusieurs ont décrié ces gestes jamais vus et le pouvoir que les médias se sont appropriés.
Mais si nous étions témoins d’un violeur en pleine action, faudrait-il le montrer dans les médias sous prétexte de la liberté d’expression? Bien sûr que non. Alors, il y a une limite, et cette limite nous devons la fixer ensemble pour que plus jamais d’atteintes à nos démocraties ne soient possibles avec la manipulation des informations, la programmation des audiences, et autres moyens technologiques. Tout ça en préservant le droit à ceux qui ne sont pas d’accord à le dire sans avoir peur de représailles.
Peut-être faudrait-il apprendre aux enfants à débattre intelligemment, à lire, se documenter, détecter les infos manipulées vs les infos de sources crédibles? Un cours de civisme aussi serait sans doute primordial dans le cursus scolaire afin d’apprendre défendre ses opinions de manière civilisée et comprendre les différences. Une chose est certaine, le sujet ne fait que commencer, attachons notre ceinture. L’urgence est d’agir maintenant pour un futur harmonieux.
Gouverner au son
Au-delà des enjeux avec les médias sociaux et les discours haineux, nous savons maintenant de manière chirurgicale que les politiciens fonctionnent aux humeurs de la chambre d’écho. Nous n’avons qu’à penser à la PCU pour les voyageurs, les restrictions aux voyageurs non essentiels et nous voyons l’impact de la grogne des citoyens. En un rien de temps, le gouvernement fédéral a réagi. À une autre époque, les journalistes auraient soulevé le cas, mais l’écho aurait mis un temps fou à se rendre à Ottawa. Le sujet serait mort-né.
C’est le gouvernement en temps réel que nous expérimentons. La pandémie nous aura aussi légué cette façon de garder le lien entre les politiciens et le vrai monde.
Si un parti politique veut se positionner, ou se repositionner, les médias sociaux sont la meilleure arme pour obtenir des sondages en temps réel et des données également.
Déjà que nous questionnons avec raison l’usage des données que font le GAFAM, imaginez lorsque ces données tombent dans les mains de personnes mal intentionnées. Ce qui arrive chaque jour dans les faits. Les voleurs et criminels s’adaptent, et eux aussi travaillent à domicile. Ils s’occupent à voler nos identités numériques, faire de l’hameçonnage (phishing) et de l’usurpation de nos identités globalement.
Tout ça pour dire que la liberté d’expression et l’utilisation des données vont de pair. Légiférer sur un aspect sans resserrer la vis sur l’autre c’est un pas perdu. Il faudrait comprendre que « données » ne s’écrit pas « donner » et que tous les usages erronés et abusifs contribuent à la perte de la liberté d’expression aussi. Et en ce sens, nous avons pris un bien mauvais chemin à ce jour pour protéger nos libertés fondamentales, le parapluie des libertés d’expression. Nos identités c’est aussi précieux que la prunelle de nos yeux… et l’écho de qui nous sommes.
À quand un ministre du numérique qui ne va pas seulement regarder un angle du problème, mais l’ensemble des enjeux numériques et agir comme un ciment entre tous les ministères?
De grands enjeux de société se jouent devant nous, et nous avons le devoir de participer à cette discussion. La suite sera déterminante pour nos libertés tout court.
N’oublions pas que la pandémie est un activateur de nos urgences collectives!

*Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft
4 commentaires sur « La liberté d’expression revue et corrigée à l’ère numérique »