Depuis plusieurs semaines, nous entendons les récriminations des chauffeurs de taxi qui hurlent à l’injustice avec l’arrivée de UberX, cette application qui permet aux « messieurs et mesdames ToutleMonde » d’offrir leurs services de chauffeurs. Il y encore le dossier des hôteliers qui hurlent à l’injustice, avec ces mêmes « monsieurs et madames ToutleMonde » qui offrent un lit, une chambre ou un appartement sur AirBnB. Il y a quelques années, les courtiers en immobilier hurlaient à l’imposture de « Duproprio » qui n’avait pas le droit de pratiquer le courtage immobilier. Il semble que chaque jour voit naître un nouveau service en ligne qui menace les institutions établies.
La nouvelle économie souterraine : la suite du commencement!
Mon arrière-grand-père maternel était un hôtelier à Valleyfield. Il a été aussi un contrebandier d’alcool, car à cette époque vendre de l’alcool était interdit. Il faisait donc tout pour bien servir ses clients, et prenait les risques pour s’approvisionner la nuit en transportant le précieux liquide de la réserve autochtone de l’autre côté de la rive. Non seulement s’adonnait-il à la vente d’alcool illégale, mais il organisait des paris avec des combats de coqs sur le fleuve glacé en hiver, transformé en zone franche, où les policiers ne pouvaient rien faire. Rien pour être fière, mais lorsque la crise de 1929 frappa, il a pu vivre avec l’argent accumulé dans ses chaudières, car son hôtel n’a pas survécu à cette crise. Voilà ici un exemple de ce que « messieurs et mesdames ToutleMonde » faisaient, et font toujours depuis la nuit des temps : trouver des failles dans le système! Jusqu’à ce que l’état prenne le contrôle, et empoche les fruits de l’alcool, le tabac, le jeu et bientôt la marijuana. Quelle est la différence avec ces nouvelles entreprises numériques?
Le secret du succès est dans les failles et les foules
En fait, ces jeunes entrepreneurs qui bousculent les modèles établis sont simplement mieux équipés que mon arrière-grand-père l’était. Ils ont l’intelligence, en apparence, de trouver les failles du système. En capitalisant sur les frustrations du monde, ils offrent des alternatives qui échappent aux lois écrites d’antan qui n’avaient pas prévu l’avènement des technologies. Comment ne pas s’étonner de voir les modèles contrôlés et dépassés vaciller et menacer de s’écrouler! Ce n’est pas en fermant les yeux, ou en haussant le ton que nous trouverons des solutions permanentes à une tendance devenue irréversible. Si vous êtes protégés par un décret, une association, un ordre ou autres, sachez que les colonnes du temple tremblent. Tout le monde veut sa part du gâteau. Et à en juger par les revenus du jeune milliardaire de AirBnB, Brian Chesky, ou d’autres modèles similaires, l’économie aurait l’air de tout sauf collaborative. C’est encore une dérivation des revenus vers quelques poches au nom des économies pour les usagers. Saviez-vous qu’une augmentation de 1% des réservations de AirBnB conduit à une diminution de 0,5% des réservations dans les établissements hôteliers? J’ai fait déjà deux voyages en Europe sur les lits proposés par AirBnB, je peux dire que la commission est gourmande, mais toujours moins chère que dans les hôtels, et hop voilà, on se laisse séduire par le tourisme nouveau genre.
La solution réside dans les foules, et les failles
À titre de contribuable, je n’aime guère l’idée de voir des revenus dérivés vers d’autres pays, notamment les É.-U. La perte d’emplois, des industries menacées, et j’en passe, ne sont que quelques-unes des menaces qui planent sur nous. Mais je ne crois pas que nous vaincrons en protégeant les modèles établis, pas plus qu’en hurlant à l’injustice. Lorsqu’iTunes a dérivé la quasi-totalité des revenus associés à la vente de musique, où était Quebecor? Lorsque Amazon a dérivé les revenus de la vente de livres où était Renaud-Bray… ou Quebecor? Lorsque toute notre activité économique sera dérivée vers les autres pays, comment allons-nous justifier notre inertie? La vérité est que les hôteliers, les chauffeurs de taxi et tous les autres affectés par un outil Web devraient illico se mobiliser, non pas pour crier fort et résister, mais pour se relever les manches et nous offrir des alternatives locales. Lorsque Communauto a été lancée en 1997, nous les trouvions bien audacieux, maintenant que le marché est mûr pour ce type de transport, Car2Go arrive et s’accapare des parts de marché avec une offre compétitive. C’est l’économie de marché qui opère. La différence, dans ce cas-ci, est que nous ne sommes pas à la remorque des compagnies étrangères qui viennent prendre la part du lion. Ce n’est pas fini, ce n’est que le début. Bientôt d’autres entreprises, comme Negocioto.com, révolutionneront des bastions de résistance numérique, comme l’industrie automobile, en faisant ce que les concessionnaires n’osent pas faire eux-mêmes, i-e permettent les enchères sur le meilleur prix d’une voiture neuve. Qui n’a pas ragé devant la nouvelle d’un ami qui a payé vraiment moins cher pour la même voiture?!? La nature a horreur du vide, elle tend à le combler. Rien n’y échappe, les banques avec le crowdfunding et les clubs de prêts, les restaurants avec la version « repas chez l’habitant » que AirBnB a dans ses cartons et la liste continue.
Une question économique et une question d’urgence
Le public a besoin d’éducation, le gouvernement aussi. Les marchés attaqués doivent réagir, et les fonds d’investissement doivent délier les bourses pour que nous ayons des alternatives locales, et potentiellement mondiales à offrir. Tout le monde fait ses calculs en se regardant le nombril, à chacun son ROI (RSI). Et quand le ROI n’y est pas, et bien on trouve une solution alternative. C’est vrai pour les investisseurs, et c’est vrai pour les clients. C’est une question de survie! Quand je pense que la ville de Montréal veut devenir une ville intelligente, mais le Québec, et le Canada sont à des décennies d’un modèle de province et de pays intelligent. Dimanche dernier, nous avons mis 20 millions pour défendre la démocratie des commissions scolaires, alors que nous vivons un drame économique sous nos yeux. Le gouvernement préfère envisager la mort de la démocratie à cause des coûts, alors que des alternatives numériques et opérationnelles existent. Ce que nous devons remettre en question ce sont nos perspectives numériques. La Suisse fait des référendums comme on change les saisons, pour tout. C’est une question de choix. Nous cherchons encore le plan numérique du Gouvernement, nous cherchons encore le soutien pour les entreprises qui osent prendre des sentiers non fréquentés dans le numérique. Franchement j’ai peur pour notre futur, lorsqu’une petite poignée de Bill Gates aura pris le contrôle, et bien, peut-être que le film de George Orwell, 1984, sera devenu un véritable film d’anticipation.
Il est temps de redéfinir la notion d’économie de partage, ou de collaboration, puisque les mots partage ou collaboration commencent déjà à être galvaudés. Lorsque tous les secteurs auront été touchés, on parlera d’économie tout court, et nous entrerons dans une phase où le retour en arrière sera impossible. Après tout, ce n’est pas ce que Darwin a expliqué avec sa théorie de l’évolution : ce ne sont pas les plus forts, ou les plus intelligents, qui survivent, mais ceux qui s’adaptent? Je crois bien que ce naturaliste était un économiste finalement, car j’ai l’impression que nous sommes plutôt dans une économie darwinienne!
Qu’en pensez-vous: devrions-nous légiférer le protectionnisme ou accélérer notre compétitivité?
PS Si le sujet vous intéresse, lisez le live de Lisa Gansky : The Mesh: Why the Future of Business is Sharing and the chief instigator of Mesh
6 commentaires sur « L’économie de partage ou darwinienne? »