Moi, grande évangélisatrice du pouvoir du Web, des technologies et des médias, fascinée par les mutations de la société à l’ère de la connectivité globale, c’est avec inquiétude et humilité que j’écris ce billet aujourd’hui. J’espère que vous partagerez mon inquiétude, car la solution se trouve dans notre pouvoir collectif.
Lorsque rentabilité rime avec contrôle
Cela fait un bon moment que je soulève des questions au sujet de la dérive du Web, étant spécialiste des affaires à l’ère numérique, je n’ai pas échappé aux diktats du référencement naturel, des médias sociaux, et avec sa suite, la dégringolade des bénéfices accordés aux entreprises par les grands réseaux sociaux. Il est déjà particulièrement difficile de profiter de son propre auditoire dans une page commerciale de Facebook, M. Zuckerberg ayant de nouveaux patrons qui s’appellent « on veut du rendement… et on l’aura! ». Ainsi, à peine 16% de vos propres fans peuvent voir vos publications, une condamnation à payer pour être vu. Twitter et LinkedIn n’y échappent pas, et la pression du rendement cède, peu à peu, le pas à l’accessibilité pour tous de vos informations. Je serais très mal placée pour les blâmer. Par contre, là où je commence à grincer des dents, c’est dans le choix des informations que des robots (algorithmes) décident de me montrer. Ils sont partout. Google Bot et ses comparses transforment la toile en un lieu de moins en moins global. Il n’y a qu’à demander à vos amis à Québec ou à Paris, et déjà vous comprendrez que la géolocalisation fait son œuvre depuis un bon moment. Facebook décide (Facebook EdgeRank), lui aussi, de montrer les publications de vos amis en fonction de critères qui ne sont pas de votre ressort, ou pour si peu. Ainsi, c’est à peine 15% de mes amis Facebook qui sont vus sur mon mur de publications. Pourtant, j’ai de l’intérêt pour plus que 15%, sinon pourquoi seraient-ils mes amis? Nous ne parlons pas d’argent ici, et pourtant… Que se passe-t-il?
La conjoncture des inquiétudes Internet: l’étroitesse d’esprit… des robots et des humains!
J’ai écouté une conférence tout à fait stupéfiante à propos du phénomène du contrôle de l’information: TED Talks: What FACEBOOK And GOOGLE Are Hiding From The World . Le conférencier, Eli Pariser, nous démontre de façon éloquente, à quel point nous sommes dorénavant soumis aux choix dictés par des robots. Ces robots qui agissent comme des postes de contrôle qui décident pour nous, ce qui mérite d’être vu, ou pas. Il démontre que les choix sont faits pour nous ressembler. C’est notre nouvelle bulle d’illusions où tout nous ressemble afin de maintenir notre intérêt. Ainsi, si vous êtes libéral, graduellement, vous allez seulement voir les publications sympathiques à votre profil, et ceci est applicable à de nombreux autres critères, qui à la fin, vous donneront l’impression que tout le monde pense comme vous. Nous devions construire une société ouverte avec le Web, et éliminer les pyramides inspirées de l’égo grâce à un meilleur accès au monde. Or, il n’en n’est rien! Bien au contraire, plus ça va, et moins ne serons confrontés à des idées différentes des nôtres. Frédéric Martel, auteur du nouveau livre SMART, abonde dans le même sens, mais avec une lunette différente (voir article de la Presse). Il soulève l’incroyable capacité de l’humanité à répéter l’histoire. Cette conférence d’Eli Pariser devrait être traduite dans toutes les langues… afin que nous ne perdions pas notre sens critique.
Les enjeux mondiaux du contrôle Internet
Parallèlement, les dirigeants du monde entier se préoccupent du contrôle de la Toile. C’est un fait, les États-Unis contrôlent la majorité des éléments relatifs à la toile. Ainsi, le sommet international NETmundial est né de la volonté de changer l’ordre des choses. Ce sommet est censé poser les jalons d’une gouvernance mondiale exprimée par Mme Rousseff devant l’ONU en septembre 2013. Si vous me lisez, vous savez à quel point l’absence de balises, en regard des défis soulevés par le numérique, m’interpelle. J’ai parlé de cette question dans l’article: Numériser ou ne pas numériser? Là est toute une question pour la politique!, et c’est avec regret que je constate que le Québec tarde encore à s’impliquer dans un plan numérique. Notre Franco-canadienne, Parisienne d’adoption, et Secrétaire d’État française chargée du Numérique, Axelle Lemaire, n’a pas mâché ses mots lors du Sommet : «Notre grand défi est d’inventer un modèle inclusif, juste, qui refuse les oligarchies et la concentration des pouvoirs». Je ne saurais être plus en accord avec elle. Et que dire de la justesse des propos de Nenna Nwakanma , de l’institut Web Fondation: «La confiance a été détruite (…) Nous devons connaître les règles du jeu et nous y plier. Il faut passer d’un système vampirisé par un seul acteur à un processus ouvert et participatif». Ces cris d’alarme surgissent après les nombreux scandales d’écoute électronique et de l’abus des États-Unis face au pouvoir indu qu’ils exercent sur le Web.
Un Web qui n’a rien de global, de plus en plus microlocal
Récemment, je rencontrais un client potentiel pour discuter de la baisse de ses ventes aux É.-U. depuis la dernière année. Une baisse drastique, il ne fait plus de ventes sur le territoire américain depuis plus d’un an. Un chiffre d’affaires mensuel de 35 000 $ disparu en moins de deux semaines. Après analyse, nous découvrons que le nouvel algorithme de Google l’a pénalisé. Bien sûr, avec une hypergéolocalisation, les règles du jeu changent. Ceci démontre à quel point, nous sommes les serviteurs d’intérêt que nous ne contrôlons pas. Perdre la moitié de vos ventes, c’est une faillite pour la plupart des entreprises. Il faut donc faire du SEO international, et se soumettre aux règles du moment si l’on souhaite reconquérir, ou conquérir, des marchés extérieurs. J’ai parlé abondamment du micromarketing, mais j’espère que cette tendance ne sera pas synonyme de barrières aux marchés extérieurs, et d’étroitesse de possibilités.
Je sais que je suis peut-être naïve, mais cette situation nous indique que nous régressons au lieu d’avancer en matière d’accessibilité. Si les robots et les chefs d’État veulent leur part du contrôle, nous ne pouvons que souhaiter que quelqu’un défende nos intérêts au passage. Parce que franchement, je n’ai rien à foutre d’un écureuil qui mange des cacahuètes sur le fil électrique du voisin, si je ne peux pas savoir ce qui se passe en Chine ou en Afrique parce que c’est la conspiration du contrôle de l’information, et le règne des dictateurs. Avec le Web, nous devions ouvrir nos œillères et voir le monde, du moins le découvrir, avec tous ses acteurs. Il semble bien que l’Internet ait mis moins d’un quart de siècle pour ressembler à la même chose que la Toile géopolitique. Après avoir rassemblé les informations, analysé le tout, je ne peux que conclure comme Frédéric Martel :«En réalité, partout les frontières demeurent, partout, les frontières sont différentes, le Web est très fragmenté. Au fond, le Web est partout différent». «Il n’y a pas d’internet global et il n’y en aura jamais». L’Homme étant par nature territorial, il semble que l’histoire se répète. Comment pourrons-nous assurer notre Présence contre les robots et les dictateurs?
Comment pouvons-nous changer les choses concrètement?
PS Période très occupée pour moi. Deux conférences, le 7 mai prochain, voir les détails ici à droite. Aussi, le lancement de mon livre en version numérique et complètement réédité. N’hésitez pas à réserver votre copie ici.
Curieusement, quelques jours plus tard, je vois cette pétition qui circule sur Facebook!
Un commentaire sur « La désillusion du Web: remplacer les frontières par des barrières! »