Quelle sorte de mot inventons-nous encore avec émojournalisme? On dirait que nous créons des nouveaux mots à tous les jours. Pas étonnant que dans notre univers en mutation que nous soyons toujours à la recherche de la plus adéquate nomenclature des choses. C’est ainsi qu’un matin je me réveille au son de René Homier-Roy racontant une millième histoire émouvante sur Haïti. Je me permets de sauter la mise en contexte, car tout le monde connaît la trame de fond de ce drame aux dimensions innommables. Je me réveille donc comme tous les matins depuis le 13 janvier avec des nouvelles sur le cauchemar haïtien.
Je dois dire que l’histoire ce matin là avait un air de révolution puisque que j’entendais un journaliste expliquer qu’un autre journaliste de la chaîne CNN, Sanjay Gupta venait de donner naissance à l’émojournalisme en opérant un enfant sous le regard des caméras en direct. Le journaliste qui se transforme en héros et qui prend part à l’histoire plutôt que d’en être témoin. Tous les journalistes n’ont certes pas l’étoffe d’un héros ou les compétences de chirurgien pour réussir de véritables miracles en direct, mais nous pouvons nous demander leurs rôles dans une pareille tragédie.
Je prêche les e-motions depuis la naissance de ce blogue et je dois constater que nous avons atteint un paroxysme avec ce évènement historique dans la courte histoire de la nouvelle en instantanée. Au passage, nous avons vu de grands miracles de solidarité humaine à l’échelle mondiale qui nous rappelle humblement que nous vivons sur une petite planète. Tous ce sont mobilisés pour tendre la main à ce peuple debout, mais sans abri. Comment ne pas s’interroger sur certains points concernant les équipes de journalistes nécessaires là-bas. Les haïtiens avaient eux-mêmes envoyés des images par cellulaire et autre média quelques minutes après la tragédie.
Nous avons vu Richard Latendresse de TVA (et d’autres aussi) parler à des pilleurs pour savoir si ils avaient vraiment pillé, à des sinistrés pour savoir comment ils se sentaient, à d’autres pour savoir comment ils voyaient l’avenir et la liste est aussi courte que son imagination. Combien de journalistes sont nécessaires en pareil circonstances pour être les témoins de notre voyeurisme collectif? Je dis ici simplement que j’ai honte d’être humain lorsque je vois et entends de telles aberrations. Je m’imagine sur mon tas de pierres cassées, sans abri, sans rien pour me nourrir, sans ma famille et je vois les caméras me regarder et transmettre mon drame en direct dans les salons confortables du monde entier. Pour ajouter à cette aberration, le journaliste me demande comment je vis la perte de la totalité de ma famille, mes amis, mes voisins en filmant les morceaux de corps de mes disparus qui pointent ici et là dans les décombres. Franchement, qu’y a-t-il à dire sinon qu’à regarder en silence? Saluons toutefois les efforts de retrouvailles qui ont permis un pont avec les familles éprouvées ici et ailleurs.
Plus près de chez nous, le blogue de Dominic Arpin a permis de démarrer et nourrir une polymique intéressante avec la levée de fonds pour se rendre à Haïti orchestrée par Martin Bouffard du journal web http://www.ruefrontenac.com . Rappelons que les journalistes en lock-out du Journal de Montréal ont mis sur pieds une initiative depuis maintenant un an pour continuer à fournir la nouvelle à même leurs propres fonds. Il pourrait sembler légitime de vouloir partir à Haïti pour couvrir l’évènement. Mais sans argent, il fallait faire appel à la générosité des lecteurs. Martin Bouffard n’écoutant que son courage et pliant sur son orgueil a réussi à amasser plus de 2 000 $ pour couvrir le coût du billet grâce à la vision partagée par ses admirateurs.
Nous voilà dans une forme un peu tordue d’émojournalisme, car honnêtement est-ce que nous avions une panne de nouvelles en provenance de Haïti? Dany Laferrière est parti pour laisser le champs libre à ceux qui sont là pour aider, il se voyait comme une nuisance. Imaginez? Plus d’endroits pour se loger, plus de services et plus rien pour assurer un minimum de confort sécuritaire. Il y a même une équipe de médecins belges qui ont quitté parce que la sécurité ne pouvait pas être assurée adéquatement (selon CNN). Le Web force les journalistes à se réinventer et cela est tout à fait logique et naturel. L’émojournalisme doit toutefois demeurer une tactique à utiliser avec discernement, car il y a une frontière mince avec la manipulation par les émotions et le travail du coeur que cela veut supposer. J’imagine toutefois pour me soulager que cela a stimulé la générosité, car avec toutes ces images, il faut être de glace pour ne pas succomber à l’empathie.
Souhaitons que ce tremblement de terre soit une occasion pour faire trembler nos fondations intérieures. Cultivons le voyeurisme de nos consciences et non celui de la misère des autres!
Bon courage à tous ceux qui sont touchés par ce drame!
PS Vive le viral pour passer des messages… faites circuler!
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Sylvie Bédard
Très beau papier. Je ne voyais pas la couverture médiatique des catastrophes sous ces angles. Mais reconnaissez qu’il est difficile de faire autrement, sans tomber dans l’excès d’émotions et le changement de rôle…
Il y a ce rappeur américain (dont j’ai oublié le nom) qui a donné de son temps, au moins une journée, pour ramasser les cadavres dans les décombres de Port-au-Prince. Sans doute le plus bel exemple de courage et d’implication de la part d’un artiste.
Merci de ces commentaires qui confirment la force des réseaux pour la reconnaissance des gestes qui font la différence.
Nice post. sylviebedard.net deserves an oscar