Le facteur Klara : s’indigner ou agir!

Le facteur Klara - indignation ou action

 

J’ai fait un super beau voyage dans la région de Cape Cod à la fin du mois de septembre. Il me semble que ça fait déjà un an tellement le temps passe vite. Lors de mon séjour, j’ai fait la merveilleuse rencontre d’une dame âgée de 87 ans. Elle habite son village depuis 50 ans et elle est une femme très autonome. Elle gère sa grande maison et son terrain seule, ainsi que des propriétés en location. Je vous raconte son histoire, car elle m’a touchée énormément et m’a suscité bien des réflexions sur les années devant moi.

D’abord, il faut savoir que Klara (avec un K a-t-elle insisté) est ce genre de femme fière et orgueilleuse qui a reçu une éducation de première qualité et qui a d’ailleurs été professeur durant sa vie active et qui parle au moins quatre langues. C’est d’ailleurs à entendre parler français sur le balcon où j’étais assise avec mes amies que nous avons attiré son attention et que tout a commencé.

Elle est née en Allemagne et a migré aux É.-U. par amour peut-on en déduire, il y a 50 ans. Elle a vu les Américains perdre peu à peu leur savoir-vivre et s’offusque de la médiocrité, quelle qu’elle soit. Elle allait chaque hiver en Allemagne, mais sa famille étant dorénavant toute disparue, elle y retourne moins parce qu’être seule là-bas ou ici, c’est la même chose malheureusement surtout si on fait fi des froids d’hiver de la côte est américaine qu’elle n’apprécie guère.

Elle a refusé de rompre avec le passé en repoussant les technologies et son cellulaire (style flip flop) est le seul objet moderne autorisé dans sa vie. Elle fait une promenade chaque jour habillée avec classe et assez droite malgré son âge avancé. Elle a encore l’énergie de l’indignation, et critique énormément et s’insurge envers tous ceux qui manquent de civilité. Oui, il faut le dire, Klara trouve que notre monde a perdu la boussole. Ses repères tombent les uns après les autres, et il faut l’entendre parler du président actuel pour savoir qu’elle n’a pas voté pour lui.

Je dois vous dire que Klara et moi, avons réellement connecté. Mes amies et moi étions un quatuor énergique et l’accueillir sur notre balcon dans la maison louée temporairement a été le début d’un moment marquant. Nous sommes toutes d’avis qu’elle n’avait probablement pas eu de conversations étoffées depuis belle lurette et de rires probablement depuis encore plus longtemps. À entendre les personnes rencontrées, ils la surnomment la vieille Italienne déplaisante sans même savoir qui elle est réellement. À une époque où nous connaissons un peu trop la vie de purs étrangers ou d’amis sur Facebook, il est étonnant de constater que cette citoyenne qui vit à l’année dans ce village déserté l’hiver ne soit pas mieux connue par ses concitoyens. Il faut le dire, Klara est le reflet d’une génération dont ses meilleurs jours sont derrière elle. Ce qui m’a attristé, c’est de constater qu’elle se sent fatiguée et qu’elle a montré des signes de mémoire à court terme défaillante. Elle qui est fière comme un paon, elle s’incline et elle ne semble avoir personne qui veillera sur elle. La solitude semble être son pain quotidien.

J’ai été profondément marqué par cette rencontre. Il y a eu celle du jeudi soir, et puis, comme une petite fille, elle est venue frapper à la porte le vendredi matin. Surprises vous dites? Qui reçoit de la visite en vacances? Cela en dit long sur notre effet magique réciproque. D’abord parce que le niveau de conversation que nous avons eu a été soufflant. La dérive et la domination de l’église, la place des femmes dans la société, les contrecoups des technologies, le manque de culture et de civisme des Américains qui la met particulièrement hors d’elle, elle qui a un mot juste pour chaque chose et qui croit sincèrement qu’il n’y a pas plus gougeât qu’un américain. Les sujets n’avaient aucune limite… que le temps qui a filé tellement vite.

Elle incarne une société d’une certaine élite sociale, mais une femme cultivée qui taille ses haies de cèdres comme une artiste sans la moindre coche mal taillée. Une travaillante qui a probablement économisé pour ses vieux jours et qui réalise à 87 ans que ses vieux jours sont arrivés, mais qui hésite encore à faire des dépenses inutiles. Vous auriez dû l’entendre lorsque je lui ai dit qu’elle avait un bon jardinier… ouf! Je vous garantis que c’est elle qui jardine, car je l’ai profondément insultée. N’ayez crainte, je l’ai ensuite encensé en lui disant à quel point j’étais impressionnée…et je l’étais réellement avec ses 100 pieds linéaires de parfaites haies. Nous n’avons que touché la surface dans nos conversations, mais je sens que cette femme mystérieuse avait tellement de choses à dire qui demeureront cachées derrière ses yeux d’un bleu magnifique qui nous regardent avec une authenticité déconcertante.

J’ai essayé d’imaginer ma vie dans plus de trente ans après cette rencontre.

Comment verrais-je le monde à sa place à l’an 2048? Comment se composerait notre société et surtout comment traiterons les personnes âgées? Je l’avoue, j’ai eu un frisson.

La première question qui me vient est : quel sera l’état de notre planète? Devrons-nous vivre sous un dôme comme les films de science-fiction nous ont si souvent projeté l’apocalypse?

Poser la question c’est déjà trop. Avec les alertes qui nous incitent à l’urgence planétaire, nous badinons encore entre climatosceptiques et les scientifiques qui semblent tous d’accord pour dire que le compte à rebours est bien amorcé. Klara, à sa façon, a probablement incarné le mode de vie économique et écologique dans ses meilleurs standards, mais qui se souciait vraiment de tout ça encore hier. À son âge actuel, je ne sais pas quelles seront mes conditions de vie, mais je ne suis guère optimiste en ce moment. Le pire est devant même avec des lunettes roses.

L’autre question qui m’a turlupiné touche la notion de vieillir seule. Comment les personnes âgées du futur seront-elles traitées? Sur ce point, je ne sais pas si je dois faire confiance à la société ou si je dois penser à un budget robot d’intelligence artificielle pour prendre soin de moi dans 30 ans. Disons-le franchement, il faut viser l’autonomie, mais quel en sera le prix? Une question que ma planification financière ne peut guère estimer. Si un iPhone coûte entre 600 $ et 1 200$, combien coûtera un robot de soutien qu’il faudra mettre à jour continuellement dans 30 ans? Un budget de téléphonie et Internet que Klara n’avait pas mis dans ses prévisions j’en suis sûre.

Une autre question connexe à la précédente, qui prendra soin de mes affaires ou qui verra si tout est sous contrôle? Il nous est apparu évident que Klara glissait vers une perte d’autonomie, début Alzheimer, fatigue physique et déconnexion de plus en plus de la réalité. Ajoutez à cela que probablement peu de gens dans son village se soucient d’elle parce qu’elle n’a probablement pas cultivé ses relations avoisinantes. Il est fort à parier que personne ne saura si elle est morte dans sa maison, ou submergée dans ses déchets ou autres, faute de capacité à prendre soin d’elle-même. Ça m’a interpellé. Comment ne jamais laisser vieillir personne seule? Comment notre société peut-elle éviter cette cruauté? J’ignore les réponses, mais sérieusement, je souhaite de tout mon cœur que Klara ne subisse pas ce cruel sort et personne d’ailleurs.

Trente ans c’est beaucoup et peu en même temps.

Mais dans la courbe d’accélération de la dégradation du climat, du développement des technologies, et de la droite qui monte partout dans les pays influents… je dirais que 30 ans c’est l’équivalent d’un siècle qui s’annonce imprévisible de surcroît. Klara est totalement dégoûtée de la déchéance humaine, elle qui est née dans une Allemagne sous Hitler et qui avait 7 ans lorsque la 2e guerre mondiale a été déclarée. Elle n’avait pas choisi ce combat, mais elle en a tout de même subi les conséquences. Tous les Allemands n’étaient pas Hitler, comme tous les Américains ne sont pas Trump et tous les Brésiliens ne sont pas des Bolsonaro. Cette montée de haine, de racisme, d’homophobie, de libération des armes, de traités anti environnement et j’en passe sont pourtant le choix de millions d’électeurs. Sommes-nous tombés dans une spirale de folie d’auto sabotage collectif?

J’entendais deux jeunes adultes dans le début vingtaine nous partager le fait qu’il y a deux camps parmi leurs amis. D’un côté ceux qui croient qu’ils seront les derniers humains sur terre, alors vaut mieux en profiter à fond et éviter de se priver. De l’autre, ceux qui croient qu’ils ont la responsabilité de faire quelque chose de concret et de se battre contre la catastrophe amorcée de la dégradation de la planète. Un dilemme cornélien puisque l’issu d’un choix ou l’autre ne semble pas changer grand-chose, sauf la date d’échéance peut-être. Plus on est vieux, et plus la solution d’en profiter semble la voie à prendre. Mais qui peut réellement nous dire les actions à prendre? Je m’imagine mal me priver de tout pour finir au même endroit. De la même manière, je m’imagine mal porter sur mes épaules une partie de la culpabilité collective de n’avoir rien essayé.

Klara a baissé les bras. Mais son indignation me laisse croire qu’avec un peu plus d’énergie, elle serait sans doute devenue une activiste civilisée. À 87 ans, elle a mené une vie honorable, elle n’a pas fait la transition au monde interconnecté, ce qui explique probablement sa solitude et son isolement. Par contre, elle a probablement plus lu que la moyenne d’entre nous, plongé dans ses livres comme des amis silencieux. Déjà, je serais heureuse de lui faire des conversations via le Web si elle était connectée. À plus de 8 h en voiture, les visites surprises sont plutôt utopiques. Je lui enverrai une carte dans les prochains jours, je suis sûre que son sourire se lira sur son visage. Imaginez-la à recevoir une carte par la poste, je souris à l’idée de cet instant de bonheur pour elle. J’ignore si elle se souviendra de cette rencontre qui date d’au moins un mois déjà, mais je suis certaine que la surprise sera agréable, peu importe. N’empêche que s’adapter aux technologies l’aurait sûrement aidé à sortir de son isolement.

Klara a choisi de s’indigner sur notre monde moderne parce qu’agir est trop exigeant à son âge et les perspectives de changer quelque chose sont nulles. L’indignation est un bon début lorsque l’on peut agir, mais devant tous ceux que je connais qui s’indignent actuellement, et n’agissent pas, le point commun est simple : faire quoi? C’est la question pour laquelle personne ne semble avoir de réponse. Nous sentons l’indignation partout, mais l’action est dissipée. Les forces de l’action n’ont pas de réels plans et pourtant tous les indignés semblent vouloir faire quelque chose, qu’un leader se lève au nom de notre avenir. Je ne parle politique ici.

Parce que toutes les Klara du monde, celles qui auront 87 ans, 77 ans, 67 ans, 57 ans et 47 ans dans 30 ans… ont de 17 à 57 ans aujourd’hui… ça devrait tous nous concerner! Donnons-nous le petit exercice de parler à une personne âgée autour de vous, ne serait-ce que pour leur demander comment elles avaient imaginé leur vie, il y a trente ans… et que feraient-elles différemment aujourd’hui? Aidez-la au passage à utiliser Internet et tous les outils pour rester connectée avec les autres. Je pense que les technologies ont au moins ce pouvoir de briser l’isolement.

 

Bonne réflexion pour la Klara qui sommeille en vous!!!

PS Avis aux marchands également, ce sont vos clientes ces Klara, soyez vigilants et aidez-les en améliorant l’expérience-client pour leur faciliter la vie.

Blogue La Présence des idées

4 commentaires sur « Le facteur Klara : s’indigner ou agir! »

  1. Ah! Si tu pouvais écrire tous les jours comme ça!

    Je pense que cette réflexion est le lot du nombre croissant de gens qui n’ont pas eu d’enfants ou qui sont enfant unique, sans neveu ni nièce comme filet de sécurité. Je suis entourée de gens comme ça et le nombre va croissant.

    Il y a quelques années, j’ai commencé à parler de la création d’une coopérative d’habitation de 8 ou 10 petits studios, où je pourrais regrouper mes amis seuls et où nous pourrions veiller les uns sur les autres. J’ai une liste d’attente! Je pense que l’avenir devra ressembler un peu à ça, si nous voulons conserver un peu d’autonomie. Ce qui pousse les gens vers les résidences assistées, c’est la peur de tomber et le manque de soutien ponctuel quand on file moins bien. Ce qui tue lentement, c’est l’isolement et la solitude. Toi et moi en savons qq chose, hein?

    Le problème, c’est quand on se retrouve en couple, ce projet semble soudainement moins urgent à mettre en branles, alors que la présence de l’autre peut se terminer à tout moment. Non, non, ne crains rien, je suis toujours avec mon beau Michel. Mais je sais que la vie change si vite et quand on s’y en attend le moins.

    Où donc s’est perdu l’engagement mutuel entre êtres humains? Dans l’individualisme de ce foutu monde de consommation. J’ignore s’il sera possible de faire marche arrière.

    Gros bec. J’espère que tes amours vont bien. Maudit qu’on est dues pour un café LOL. On aura peut-être plus de chance en 2019.

    Nat

    Nathalie Lachance, M.g.b.s.

    Natmark-Concept inc. | http://www.natmark.net Services-conseils et soutien en présence Web Web Presence Consulting and Support +1 514 990-4882 | info@natmark.net

    1. Merci Nat pour ces beaux mots face aux maux qui rongent l’humanité. C’est vrai que vieillir commence à devenir périlleux pour les personnes qui n’ont pas de famille tissée serrée. Les projets comme le tiens, j’en ai une couple qui trottent dans ma tête dans le style des mini-maisons érigées en village. Mais ce qui m’apparaît urgent, c’est de ne pas laisser tomber ceux qui peinent à se connecter au monde extérieur. Je pense à elle, cette Klara, qui m’a fait faire un voyage foward in the past… ça frappe! Oui, un café en 2019, ou un moment de party de Noël… Je suis prête! xx

  2. J’ai été touché par cette dame Klara. Nous n’avons pas eu d’enfant et je me souviens quand ma mère vivait et que je la visitais , à quatre fois par année, me demander qui ferait cela pour nous quand nous aurons besoin d’aide. Les maisons pour personnes âgées ne m’attire pas du tout! Un petit village de connaissance ou encore d’amis pourrait très bien nous convenir. D’ailleurs cela existe en France.

    1. Une chose est certaine Suzanne, nous avons de grands défis pour la gestion des personnes âgées qui seront plus nombreuses que les jeunes dans les pays développés. L’idée de vieillir seule est horrible. Visons les communautés tissées serrées. 🙂

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