18 ans les pieds sur terre et la tête dans le nuage

Le 7 décembre 2007, j’appuyais pour la première fois sur « publier ». Dix-huit ans plus tard mon blogue atteint son âge adulte 😉, une majorité numérique pour une voix qui refuse encore de se taire — me voici, les pieds ancrés dans la terre de chez nous et la tête… dans le nuage omnipotent.

Pas le tien.
LE nuage. Ze Cloud.
Celui où nous vivons tous désormais, que nous le voulions ou non.

Un lieu sans lieu, fabriqué de serveurs, de conjectures et d’algorithmes où nos idées, bonnes ou mauvaises, circulent plus vite que nos émotions, où nos attentions sont happées, où nos peurs s’amplifient comme dans un écho d’une résonnance aussi vide que nos fils piratés par une force supérieure (rions un peu). Un espace devenu tellement envahissant que nous en oublions parfois notre propre posture humaine. Je me fais continuellement demander si telle ou telle image ou publication est réelle ou faite par l’IA. Il y ceux et celles qui doutent de tout, et les autres qui ne doutent jamais. (Voir mon article pour t’aider à faire tes propres enquêtes et développer ton acuité aux « fakes news ».)

J’y écris, j’y réfléchis, j’y observe — et j’essaie depuis 18 ans de garder un fil, une cohérence, une part intacte de lucidité. 435 articles avec toujours le même et seul objectif : éveiller les consciences en lien avec l’évolution technologique. Du marketing de sens avec la Présence, et maintenant de l’IA de sens dans cette ère de pixels.

2025 : Une année où la réalité a frémi sous nos pieds

Depuis décembre 2024, j’ai abordé cette année comme on traverse une clairière entre deux tempêtes. J’ai parlé de :

  • L’économie chancelante et ses sables « émouvants », ces « prix Nobel du chaos » qui transforment les politiques publiques en loterie boursière voire en détournement de fonds sous le regard médusé des esprits même aguerris.
  • L’IA qui dégénère, ce brain rot algorithmique qui produit plus de certitudes toxiques que de connaissances utiles, et qui menace nos capacités de douter — donc de penser.
  • La désinformation qui déferle comme un raz-de-marée, poussée par des écosystèmes qui préfèrent le spectaculaire à la vérité. Une économie du déficit d’attention nourrie par toute vérité n’est pas bonne à lire.
  • Le retour du cauchemar orange, symbole d’un autoritarisme décomplexé qui récuse la science, dénigre la presse, sans la moindre nuance et réfute jusqu’à l’idée même de gouverner pour le bien commun. Depuis lui, que lui!
  • La fragilité démocratique, chaque jour mise à l’épreuve par des acteurs qui instrumentalisent nos émotions pour miner nos institutions. Les vents de la discorde soufflent à décoiffer les chauves.
  • La crise climatique, pire que jamais, mais paradoxalement reléguée au second plan par la frénésie technologique et la distraction permanente orchestrée par les urgences économiques transformées en prétextes. Comme si les enjeux technologiques n’en rajoutaient pas assez sur les enjeux environnementaux avec la quantité d’eau utilisée pour maintenir LE nuage bien vivant.
  • Le défi de rester humain, pleinement humain, dans un monde où nos neurones semblent tranquillement sous-traiter leur travail à des machines pilotées par des pseudo-humains bardés de capitaux, mais dépourvus d’éthique avec un système humanitaire déficient. Et nous le faisons collectivement très consciemment et volontairement sans que personne nous y contraigne.

Chaque billet anniversaire — même ceux qui semblaient parler de technologie, de logique, de structure ou de communication — portait en vérité une seule question centrale : comment rester lucide dans un monde qui fabrique de l’aveuglement et qui s’habitue à sous-traiter son esprit ?

Le nuage collectif : notre nouveau pays

Nous habitons maintenant un territoire commun : le nuage.

Un espace où l’on vit, travaille, s’indigne, crée, s’informe et se désinforme.

Un espace où les frontières sont floues, mais où les empires sont bien réels : ceux des technos milliardaires, des marchands de chaos, des climatosceptiques qui préfèrent leur rendement trimestriel à l’avenir des enfants. Ceux-là mêmes qui prétendent savoir mieux que nous ce qui est bon pour l’avenir et qui osent nous faire avaler qu’habiter sur Mars soit une quête plus intelligente que protéger notre Terre. Avec leur abri sous-terrain (bunker), leur île privée, leur vision apocalyptique du monde, ils doivent savoir quelque chose que nous ignorons ou que nous soupçonnons.

Mes premiers billets de blogue avaient la naïveté de croire que nous allions créer une petite planète où se rapprocher de nos clients et de nos réseaux serait la meilleure chose qui soit arrivée grâce à la technologie et les miracles du Web ou des réseaux sociaux. Quelle utopie d’avoir sous-estimé le pouvoir des esprits mercantiles et dépourvus d’humanité! J’ai donné des centaines de formations, des conférences et accompagné des centaines de personnes à traverser dans le « nuage ». Une véritable évangélisatrice du numérique.

Dans ce nuage collectif, j’observe tristement un paradoxe fascinant : jamais l’humanité n’a été aussi connectée, et jamais elle ne s’est sentie aussi perdue.

On délègue dorénavant notre mémoire.
On externalise volontairement nos jugements.
On confie imprudemment nos décisions aux machines.
On se laisse guider par des systèmes qui n’ont ni empathie, ni responsabilité, ni chair. Et on en redemande. Toujours de plus en plus fascinés par leurs capacités à nous ressembler à confondre même les plus dubitatifs.

Comment nos enfants apprendront-ils encore à penser si, avant même d’accepter le doute, leurs outils leur fournissent des réponses prêtes-à-gober — parfois fausses, souvent biaisées, toujours rapides ?

Garder les pieds sur terre

Écrire, cette année, fut ma manière de résister comme les dix-sept années auparavant.
De redonner du poids au réel à ce qui se passe derrière les écrans de fumée ou la brume du nuage.
De rappeler que la vérité existe encore — fragile, mouvante, contestée, mais d’autant plus réelle que les forces en place pour la dissimuler.

C’est un acte qui, en 2025, n’a plus rien d’anodin.

Dans un monde saturé de contenus, écrire est devenu un geste politique.
Dans un monde saturé d’opinions, penser est devenu un acte de courage.

Dans un monde qui nivelle vers le bas pour se donner bonne conscience, régresser est devenu la solution.
Dans un monde saturé d’IA, oser rester humain est devenu une forme de dissidence.

Merci de m’accompagner depuis 18 ans

Si ce blogue tient encore debout, c’est grâce à vous.

À celles et ceux qui lisent, commentent, partagent, débattent, s’émeuvent, s’alarment, espèrent.

À ceux et celles qui refusent la facilité.

À ceux et celles qui reviennent chercher une pensée qui gratte un peu, un cadre qui bouscule, un récit qui recentre. Des mots qui font réfléchir faute de donner toutes les réponses.

Je le fais pour vous. C’est un journal intime que je partage, comme une trace de lucidité dans cet océan de perturbations et d’atteintes sans relâche à la dignité humaine.

Vous me donnez des raisons de continuer à écrire quand l’époque préférerait que tout le monde s’endorme dans le confort du scroll infini et de la paresse intellectuelle.

Et maintenant ?

Je n’ai pas de certitudes.
Uniquement des convictions.

  • Qu’il faudra plus que jamais apprendre ensemble.
  • Qu’il faudra développer des muscles critiques que nous croyions acquis.
  • Qu’il faudra réhabiliter la lenteur, la profondeur, la nuance.
  • Qu’il faudra veiller, non seulement sur la planète, mais plus que jamais sur notre esprit et notre humanité.
  • Qu’il faudra continuer à écrire — encore, toujours — pour rappeler que l’être humain n’est pas qu’un utilisateur, qu’un profil, qu’une donnée.

Dix-huit ans de blogue, c’est presque une génération complète. Un blogue devenu adulte dès sa naissance.

Dix-huit ans dans le nuage, c’est la chronique d’une humaine qui refuse de décrocher du réel. Qui refuse d’abdiquer. Qui refuse d’être relégué aux objets perdus. Qui refuse d’être obsolète.

Même Spotify m’a résumé mon année d’écoute en concluant que j’ai 26 ans. Et gare à ceux et celles qui veulent me défier sur ma lecture du monde. J’ai de quoi tenir un argumentaire jusqu’à épuisement. Je n’écris pas des opinions vides, j’écris en réaction à l’actualité qu’on nous enfonce dans la gorge dans l’espoir de nous endormir et parfois nous provoquer.

Dix-huit ans à documenter une époque qui glisse, se transforme, s’emballe. Dix-huit ans à observer l’humain essayer de rester debout dans un monde où la réalité n’est plus un terrain ferme, mais un nuage en perpétuelle recomposition.

Honnêtement, je ne sais pas de quoi 2026 sera fait. J’avoue que tout porte à l’anxiété collective.

Je sais seulement ceci : nous aurons besoin d’humains capables de penser encore par eux-mêmes. Et tant qu’il restera des lecteurs pour marcher avec moi entre lucidité et espérance, je continuerai d’écrire — les pieds sur terre, et la tête dans ce nuage que je refuse d’abandonner aux seuls technos milliardaires, non pour m’y perdre, mais pour y tracer des repères.

Je suis dans la gratitude de te savoir là.

Merci de croire, encore, que la pensée est un acte qui vaut la peine. Ce n’est pas rien, dans un monde qui oublie si vite.

Restons éveillés ensemble et partage, c’est mon seul bénéfice de répandre la réflexion telle une contagion de sens. Les billets sont très souvent prospectivistes, leur pertinence demeure plus longtemps dans le présent. Je préfère parler d’une date d’inspiration au lieu d’une date d’expiration. Un exemple frappant est le sujet de la souveraineté numérique dont j’ai écrit un livre en 2023. Maintenant, on en parle partout fin 2025.

Je vais donc continuer à veiller et annoncer les virages en épingles comme les sentiers non balisés dans ce monde qui nous veut dans l’humanIT. Rappelle-toi que la pluie fait pousser aussi bien les tomates que la mauvaise herbe. Alors si tu as déjà commencé à déléguer ton cerveau à ChatGPT et compagine, de grâce essaie de l’utiliser pour faire mieux… et non dégrader ce qui nous reste d’humanité et de bon sens.

Le monde en a besoin.

Sylvie Bédard - Mind Drop

2 commentaires sur « 18 ans les pieds sur terre et la tête dans le nuage »

  1. Tu m’épates! Lâches pas. Je suis très admirative de ton intelligence et ta persévérance. En souhaitant que tous tes efforts te rapportent!

    MICHELINE BOURQUE | 514 248-4588

    1. Merci Micheline! Depuis 18 ans, la seule chose que ça m ‘a rapporté, c’est la satisfaction de partager les angles morts et vivants de l’univers numérique et marketing. Au passage, les préoccupations de l’économie, la démocratie et les enjeux environnementaux. C’est déjà ça! ;)

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