Dossier sur l’urgence de la réflexion collective

Trois textes pour comprendre l’ampleur du problème, résister au cynisme algorithmique et reconstruire un cap commun – sans renoncer à notre dignité humaine.

Préambule

Je n’ai pas pris de vacances cet été. J’ai travaillé à de nombreux projets. J’ai continué ma veille religieuse sur l’IA et les enjeux environnementaux, tout en observant les stupidités quotidiennes orchestrées par le clown en chef.

Les médias sérieux, les newsletters, les talk-shows : tout le monde explique très bien ce qui cloche avec des faits ou de l’humour noir. Mais personne ne propose de solutions. Que des analyses à propos des dérives actuelles qui mettent l’humanité à mal en rendant les citoyens plus naïfs et stupides que jamais. Il y a bien sûr les autres qui ont la mâchoire qui n’arrive pas à se raccrocher avec les yeux écartillés devant les phares aveuglants de la menace autoritaire.

Ce n’est pas une crise existentielle. C’est une défaillance structurelle.

Une nouvelle infrastructure pensée pour et par les titans de la tech, au détriment du sens commun. Ils cherchent tous le futur monopole de l’intelligence en bits et en octets qui nous sera facturée à fort prix sous peu. La nouvelle guerre des mondes!

Anne-Marie Dusseault interviewait Yoshua Bengio à 24|60 vendredi 29 août: c’est pire que nous pouvons l’imaginer. Ce sont les silences et les retenues qu’il a eus qui m’ont interpellé. Ce père fondateur de l’IA a peur pour ses enfants. Il n’est plus au pays des licornes avec l’IA. Sinon, voici une vidéo en anglais par deux autres fondateurs de l’IA qui donnent l’heure juste quant aux prochaines années avec cette réalité.

Je dois aussi admettre que l’été m’a mis en pleine figure l’obsolescence de plusieurs de mes compétences. Elles mijotent dans la marmite de la pensée magique en sous-traitance à l’intelligence artificielle. Malgré tout ça, j’ai acquis de nouvelles compétences en agentique. J’y reviendrai avec mon approche de l’IA de sens après 20 ans de marketing de sens.

Mes clients ont cessé de me consulter pour de nombreux besoins. J’étais leur « ChatGPT » marketing, maintenant ils ont le leur au bout des doigts. Même mes amies allergiques à la grammaire publient désormais des messages impeccables grâce à ChatGPT. C’est le « Klondike » de l’intelligence bon marché. Mais note à ces raccourcis intellectuels: lire des messages ChatGPT, c’est comme un jello sans couleur ou saveur… reste la gélatine!

Ironiquement j’étais le Google de mes amis, il y a 20 ans. Dans ma 1re carrière en finance, on m’appelait pour connaître les taux hypothécaires, les façons de se faire approuver pour un prêt ou des conseils de placement. Aujourd’hui ces mêmes clients me consultent pour savoir comment utiliser l’IA efficacement.

Personnellement, j’ai une voie de transition. Sauf que cette fois-ci, c’est le gagne-pain de ceux et celles qui ont investi dans leur cervelle qui prend une décote à la bourse du marché du travail. Si je vis une forme de remise en question, je n’ose imaginer ce que sera l’état du moral collectif d’ici peu. Yoshua a la même lecture.

Les générations suivantes sont en perte de sens ou de sentiment de valeur et d’utilité ayant étudié pour une profession qui ne les valorise plus. Sans compter qu’une bonne partie des jeunes sont éco-anxieux devant autant de mauvaises décisions prises par les oligarques au pouvoir. Coinbase a récemment licencié des employés qui ont refusé d’utiliser des outils IA. Le message est clair : ou bien tu utilises l’IA, ou bien tu n’as plus d’emploi. Brutal, mais clair! Sans compter ceux et celles qui ne seront jamais embauchés parce que l’IA fait mieux le travail.

Les coûts sociaux et environnementaux

Le coût réel de l’IA n’est pas ce que nous construisons. C’est ce que nous ne construisons pas. J’oserais aussi dire ce que nous détruisons. Oui, un bon outil, mais un outil qui peut s’autogérer et qui consomme des quantités énormes d’énergie. Imagine une tronçonneuse qui choisirait elle-même quoi — ou qui — couper. L’analogie est peut-être boiteuse, mais elle a le mérite de démontrer la direction actuelle de l’humanité menée par la délégation de notre savoir aux IA capables d’autonomie (Agentique).

Mes remises en question ne sont pas solitaires : elles hantent déjà des milliers de travailleurs mis au rancard par l’IA. J’ai un collègue qui ferme son entreprise de services vidéo pour aller travailler dans la construction à 50 ans. Les contrats sont devenus trop rares depuis que tout le monde peut tout faire avec les outils IA.

Bientôt les graphistes, les traducteurs, les rédacteurs, les juristes, les artistes, les musiciens, les coachs, les psychologues et les consultants de tous acabits seront les prochains itinérants. Je n’exagère pas. Même le corps médical se fait damer le pion par l’IA avec de meilleurs diagnostics (voir cet article). Si on ne fait pas payer les entreprises qui congédient leurs employés au profit de l’IA, nous allons tout droit vers ce mur dans un horizon rapproché. Des gens éduqués, intelligents et sans travail, la société ne veut pas ça. C’est une catastrophe sociale en cours d’exécution! Et sans jeter de l’huile sur le feu, nous faisons entrer des milliers d’immigrants parce que l’adéquation de la main-d’oeuvre est déficiente. Pensons-nous à la réalité déjà en cours qui frappera encore plus durement dans 5 ou 10 ans?

Paradoxalement, nous sommes toustes aspirés dans l’utilisation de l’IA, sinon nous devenons des humains obsolètes comparés aux utilisateurs. Une cliente me disait que son employée lui envoyait des beaux messages sans fautes dorénavant 100% style détecté ChatGPT. Super pour les yeux, mais elle n’apprend rien et elle s’en fout. Pourquoi apprendre quand on peut déléguer notre intelligence?

Même d’un point de vue purement commercial, rendre les humains obsolètes est une stratégie fondamentalement erronée.

  • Qui achète vos produits si personne n’a un emploi? Les communautés sans emploi ne font pas des clients payants. Demandez aux régions éloignées.
  • Qui va créer du nouveau contenu lorsque l’IA aura fini par tout ramasser les contenus? L’IA entraînée seulement sur les contenus recrachés par elle-même offrira une spirale descendante de qualité de contenus. J’en parle dans mon dernier livre.
  • Qui rêve? Qui ose quand les humains sont obsolètes? L’imagination humaine et l’expérience vécue ont toujours été le carburant des innovations.

Grande ironie ici. Je sais que l’IA est impressionnante. Je ne cesse d’être stupéfaite par sa puissance. Tu vois ici, j’ai une vidéo créée par l’IA qui à mon avis est meilleure que mon propre texte. La différence est la suivante : j’ai écrit mon texte, et elle le remâche d’une manière différente. Et non l’inverse. En d’autres mots, ce sont mes pensées à moi, et non celles de l’IA qui m’aide ici à faire une vidéo percutante sur mon propre contenu! Ce n’est pas la queue qui brasse le chien! Juge par toi-même!

Le cynisme :  la nouvelle monnaie virale

Je suis souvent au milieu de discussions échauffées sur la crédibilité des médias avec des relations professionnelles ou personnelles. Encore plus inquiétant, même le mot « vérité » ne veut plus rien dire. Bien que cette situation soit compréhensive à bien des égards, surtout depuis le phénomène du « media bashing » par Trump et sa cour, je demeure préoccupée par cette vision du monde.

La spirale de la désinformation nous divise collectivement et le pire est encore que les fausses informations et les mèmes d’aujourd’hui deviennent les « faits » de demain. Ces attaques continues sur la recherche de vérité et de faits concrets finissent par nourrir un écosystème complètement piraté en fonction des intérêts de ses marionnettistes.

Il faut lire les commentaires sous une publication pour voir les faux comptes et les vrais cons se varloper à coup d’insultes sur l’interprétation du message de ladite publication. Le pire est que souvent ce sont des « fakes news » alimentées par les fermes de trolls payés pour semer la zizanie. Et nous mordons comme des crapets. Le cynisme est maître et le civisme est relégué aux oubliettes.

Lorsque l’IA récupère des contenus non vérifiés, elle traite toutes les informations de la même manière : une théorie du complot a autant de poids qu’une recherche évaluée par des pairs. Proclamer un mensonge prend quelques secondes, prouver que c’est un mensonge prend des ressources énormes en temps et en argent.

Au fil du temps, cela crée une spirale descendante dans laquelle les contenus générés par l’IA sont entraînés à partir d’autres contenus générés par l’IA, amplifiant les erreurs et les biais à chaque itération.

Pourquoi ce dossier maintenant ? Parce qu’avec cette spirale de désinformation et d’« IA qui recycle l’IA », nous avons besoin d’une boussole collective et d’outils de résistance.

Après cette mise en contexte, je te propose trois articles :

Article 1 / 3 — La stupidité collective et nos « archipels numériques »

Comment l’architecture informationnelle fragmente notre jugement et nourrit le spectacle permanent.

Article 2 / 3 — L’Institut d’Écohérence, une boussole pour la conscience collective

Principes, méthode et raisons d’espérer : comment recâbler notre attention vers l’utile.

Article 3 / 3 — L’Institut d’Écohérence, le bouclier contre la stupidité collective

Pratiques, gestes concrets, garde-fous et indicateurs : passer du constat à l’action.

Lire l’Article 1 

Je sais bien que c’est beaucoup à lire pour la moyenne des personnes dont l’attention se réduit significativement année après année.

Mais la promesse que je te fais, c’est qu’après la lecture de ce dossier, tu ne pourras plus prétendre à l’ignorance et au fait qu’il n’y a pas de solutions.

Nous ne sommes pas coincés et inertes face à ces attaques sur notre dignité humaine. Cela aura également le mérite de comprendre le grand projet sur lequel nous travaillons à l’Institut d’Écohérence depuis un bon moment.

Tu sais s’investir à créer un monde meilleur pour les futures générations ne se résume pas à faire du compost ou à recycler ses contenants. Nous sommes face à des enjeux de société qui n’ont jamais eu autant de niveau de criticité pour la suite de notre évolution. Il faut apprendre à se parler, réfléchir et surtout ouvrir son esprit dans une intention constructive.

Bonne réflexion ! :)

Sylvie Bédard - Mind Drop

6 commentaires sur « Dossier sur l’urgence de la réflexion collective »

  1. Je dois constater que l’IA fait un excellent travail de Synthèse!

    Heureusement que tu gardes le contrôle sur ton contenu!

    Si je comprend bien, le but ultime, c’est d’éviter le Chaos en reprenant la maîtrise de nos pensées. La clé pour décripter tout en gardant notre esprit critique… C’est un travail colossal!!!

    J’aime bien, le «penser ensemble» ça peut servir à plusieurs projets. Mais il faudra presque des psychologues pour ne pas tomber dans le piège des «egos»…

    1. Oui, l’Homme restera toujours l’Homme. Mais si l’IA se mêle en plus de cette adéquation que nous connaissons bien, ça se gâte!
      Mais clairement, il faut arrêter d’attendre après le gouvernement qui est toujours en retard… on doit co-créer notre futur.
      Pour y arriver, nous devons prendre l’habitude de partager notre réflexion collective pour équilibrer les algorithmes de l’ignorance et ceux qui manipulent nos informations.

      Merci pour les commentaires! :)

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